C’est un avocat débordé, en costard, tout droit sorti de la série « SUITS », qui me reçoit à son bureau, un soir, dans le XVIème arrondissement à Paris. Kalish, un prénom indien associé à un nom de famille très british : déjà un avant-goût du mélange… Il doit encore travailler après notre entretien, mais il prend du temps pour Mixologies parce qu’il trouve que « c’est important de parler de ça ». Ce dandy anglo-mauricien qui a depuis deux ans adopté la France (il se sent d’ailleurs plus Français qu’Anglais alors qu’il n’en a pas la nationalité), emprunte des expressions anglaises de temps en temps pour être plus précis, et me dit que réfléchir et parler de son métissage peut lui faire du bien. Très cultivé et intéressé par le sujet de l’identité culturelle et raciale, il me recommande le livre « Americanah » de l’écrivaine nigériane à l’humour caustique, Chimananda Ngozi Adichie, qui relate le déracinement, les clichés raciaux, le grand écart culturel de ceux qui quittent leur terre natale pour s’expatrier…
- Prénom : Kalish
- Âge : 30 ans
- Profession (s) : Avocat
- Mix : Île Maurice x UK x Inde
- Vit à : Paris
« Half Cast »
Kalish ne se présente pas spontanément comme un « métis », ce terme n’étant pas utilisé en Angleterre, pays dont il est originaire. Là bas, on parle plutôt de « half cast », terme qu’il juge péjoratif parce qu’il sous entend n’être que la moitié de quelque chose…
Alors il préfère expliquer directement ses origines : « Je suis Anglais et Mauricien d’origine Indienne ».
Sa mère, Mauricienne-Indienne donc, est envoyée en Angleterre à l’âge de 17 ans pour un mariage « organisé ». Elle a un premier enfant, la demi sœur de Kalish, avec laquelle ce dernier a douze ans d’écart. Elle finit par quitter cet époux, mais décide de rester en Angleterre. Au début des années 80, elle y rencontre le père de Kalish, un Anglais caucasien d’ascendance irlandaise. Kalish naît de cette union mixte à Londres, mais ses parents divorcent quand il a 5 ans; vraisemblablement du fait de différences culturelles trop importantes et de tempéraments opposés. Kalish quitte alors l’Angleterre avec sa mère, pour vivre à Maurice jusqu’à l’âge de 15 ans. Il retournera en Angleterre pour y faire ses études puis s’installera enfin en France en 2014.
« On ne peut pas avoir une intégration à 100% lorsque l’on est issu du mélange de deux cultures … »
Entre-deux
Son métissage et son mélange culturel, il y tient énormément, mais il se demande si le fait d’être « entre deux » n’est pas fragilisant. Pour lui, le mélange n’est pas un problème au niveau physique, du fait de sa couleur de peau. Il n’a jamais été affecté de se dire qu’il avait l’air potentiellement indien ou anglais mais il évoque tout de même une difficulté de positionnement et d’intégration.
« On ne peut pas avoir une intégration à 100% lorsque l’on est issu du mélange de deux cultures…»
Par ailleurs, il relève une problématique plus personnelle, celle de souvent s’interroger, de se remettre en cause et de douter en permanence. « Quand on est issu d’un mélange, on est moins convaincus, on se pose plus de questions, des questions sur soi-même. Inconsciemment, on a plus de choix, un spectre beaucoup plus large, des repères plus disparates. »
Professionellement, Kalish est également exposé depuis toujours à des visions opposées : d’un côté, la carrière et l’ascension sociale sont prioritaires, et de l’autre, en Europe, l’épanouissement personnel semblent privilégié. En effet, à Maurice, le poids de la réussite professionnelle est encore très présent; ce n’est pas pour rien si, dans sa famille, on est devenu avocat ou comptable. Ce sont selon l’ancienne génération « des métiers qui comptent, des métiers respectables… ».
Lui, à l’inverse, pense qu’il recommandera à ses enfants de se tourner vers un métier qui leur plait réellement, peut-être plus créatif…
« Ni blanc, ni Indien, je me fonds un peu partout, c’est peut-être un peu mon problème… »
Agent double
Kalish se reconnaît dans ce terme. Il joue sur les deux fronts et compose avec ses différentes influences. « Avec le mélange, tu casses les cadres ! Tu entres, tu sors, tu fais ce que tu veux… ».
En Angleterre, il se sent plus Mauricien alors qu’à l’île Maurice, c’est le contraire ! Kalish, qui a les manières de son père et le visage de sa mère, ne considère pas avoir de traits particuliers qui le situent dans une ethnie ou dans une autre. « Ni blanc, ni Indien, je me fonds un peu partout, c’est peut-être un peu mon problème ». Il ne se trouve pas suffisamment « out-there ».
Lors d’un voyage en Inde, Kalish est approché par des locaux qui le prennent pour un Indien, moment de gêne. Dans son travail aussi, cette confusion est récurrente… Sur un de ses dossiers, l’un de ses collaborateurs lui dit : « Toi, il faut qu’on t’emmène en Inde, ils vont t’adorer ! » Pourtant, le lien que sa famille maternelle entretient avec l’Inde n’est que religieux au travers de l’hindouisme, une religion « particulière » selon Kalish qui a grandi dans cette spiritualité. Lui, est agnostique mais a organisé bénédiction catholique et cérémonie hindouiste lors de son mariage avec sa compagne française. « Ma femme, elle s’est quand même fait safraner !!! » ajoute-t-il en riant.
« J’ai toujours eu ce sentiment de ne pas vraiment faire partie de quelque chose »
Inside out
Parfois, lors d’entretiens d’embauche en Angleterre, on lui demande de remplir un questionnaire comprenant la fameuse case à cocher… : « Caucasian » ? « African » ? « Asian » ? Le dilemme. L’île Maurice étant situé près de l’Afrique, doit-il adopter une logique géographique ? Mais Kalish se sent culturellement plus Asiatique qu’Africain, que choisir alors ? Aucune case ne lui correspond ! « J’ai toujours eu ce sentiment de ne pas vraiment faire partie de quelque chose »
Lorsqu’il est à Maurice, il ne se sent pas Mauricien à 100%, de même au Royaume-Uni où il ne se sent pas vraiment Anglais. Ce qui affecte parfois ses relations avec les autres parce qu’il est perçu comme un touriste.
A Maurice, plus clair que ses cousins et cousines, avec son père Anglais qui lui donne ce côté exotique, Kalish occupe depuis l’enfance une place particulière dans sa famille. Il est le chouchou, position privilégiée mais ressent aussi cette impression d’être « en dehors » dont il a souffert. A l’école, dans une île où à priori toutes les communautés sont réunies, les enfants restaient pourtant spontanément en groupes : les asiatiques, les blancs sud africains, les chinois, les arabes, les noirs.. Lui, ne savait pas vers lequel aller ; il ne s’insérait pas… Une expérience difficile mais finalement une bonne formation : Kalish est toujours ami avec tout le monde !
D’un point de vue culturel, Kalish se sent connecté à la culture mauricienne, plus « family oriented » et n’adhère pas aux valeurs British, notamment les valeurs de la famille : une façon de voir l’enfant et son rôle dans la famille qui ne lui correspond pas… Il décrit son père qui vit toujours en Angleterre, comme quelqu’un de très rigide, soucieux de planification et d’organisation, des traits de caractère accentués, selon Kalish, par ses origines britanniques justement.
« Je suis au milieu, je vois les deux extrêmes »
L’art de la diplomatie
Lorsqu’il était plus jeune, le père de Kalish était toujours inquiet que son fils soit victime de racisme. Lui, pense y avoir échappé grâce à son côté caméléon. Il évoque cependant un racisme plus subtil et pense que ses origines ont parfois crée des barrières avec les autres et ont rendu certaines amitiés plus difficiles, notamment en France. Les anglais sont d’ailleurs beaucoup plus ouverts à ses yeux. La sympathie est de façade mais la méfiance subsiste car il est malgré tout considéré comme différent. Un jour lorsqu’il rentre de vacances après avoir beaucoup bronzé, on lui sort : « Jai l’impression que tu n’es pas la même personne… ». Il ajoute : « Dans un milieu français plus traditionnel, ils vont plus t’accueillir aussi par curiosité » : « Il a un côté tropical chic… »
Aujourd’hui, cet avocat rationnel et pragmatique a pris son parti de ne pas appartenir à un groupe en particulier ; il aime se mélanger, avoir des amis qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Quand il était petit et qu’il voulait faire l’intéressant, Kalish disait qu’il était « citoyen du monde ». Il a toujours voyagé et se dit que son métissage lui a donné des récepteurs en plus, que les autres n’ont pas ; une appartenance mondiale. « On a une avance sur d’autres personnes d’une certaine manière… ». Il sait ainsi parfaitement s’adapter et pense pouvoir s’ajuster à tous types de personnes. Il privilégie le feeling, et choisit son entourage sur la base d’une ouverture d’esprit. Son épouse, Française, a d’ailleurs grandi à la Martinique et s’est toujours adaptée à sa double culture. Flexible, Kalish aime la position de la diplomatie, la plupart du temps, il préfère ne pas prendre parti ; à l’écoute des arguments de part et d’autre, il sait apaiser les conflits.
Portrait mixologies
si Kalish était :