On est chez Ben et Emily, on a couché le bébé (qui s’est endormi en une fraction de seconde…le rêve !) bu une bouteille de vin rouge et mangé un curry de porc et des macarons. On refait le monde, avachis sur le canapé de la maison la plus « Mixologies » qui soit : Emily est sino-suédoise, Ben, juif algérien et tunisien (c’est d’ailleurs lui qui a cuisiné, CQFD…) ; leur fils Samuel est un parfait mélange entre ses parents : de sublimes yeux bleus bridés, une petite bouche ronde et pulpeuse, des cheveux clairs et fins et un sourire irrésistible.
Il est minuit lorsque j’interviewe Emily qui répond avec fatigue mais implication tout en savourant son verre de vin. Je remarque un très léger accent quand elle répond et quelques mots d’anglais et suédois qui viennent s’immiscer dans la conversation… (Je réalise alors à quel point j’aime discuter avec des gens qui mélangent les langues… Obviously)
- Prénom : Emily
- Age : 32 ans
- Profession (s) : Directrice d’Etudes Marketing
- Mix : Chine x Suède
- Vit à : Paris
Emily a.k.a « Iceberg » (elle dit qu’elle peut paraître très dure) hésite un moment sur la définition du terme métisse. Le mot se cantonne t-il à un mix noir/blanc ou concerne-t-il aussi d’autres mélanges ? Définit-il d’ailleurs un mélange ethnique exclusivement, ou aussi un mélange de nationalités et de cultures ? Elle se demande si elle est métisse ou pas… et puis si ! Pour elle ce sont en tout cas deux personnes d’ethnies distinctes qui s’unissent pour le meilleur et pour le pire et en résulte… le meilleur : un enfant.
Cocktail sino-suédois : la recette
Prenez une chinoise immigrée en Suède et un suédois blond aux yeux verts, mariez-les malgré une famille maternelle plus que réticente et vous obtiendrez Emily et ses deux sœurs.
Emily me raconte l’histoire d’amour de ses parents : un coup de foudre même. C’est sa mère Betty (de son prénom européen) qui demande son père en mariage. Betty est issue d’une grande famille, aristocratique de Shangaï qui a fui la Chine de Mao Zedong. Alors qu’ils ont tout perdu, ils se réfugient tout d’abord en Belgique où le grand-père francophone est le premier chinois à obtenir un doctorat en droit. Sa carrière lancée, Il travaille ensuite pour l’ONU, un peu partout dans le monde et finit par s’installer en Suède avec sa famille.
Quand les parents d’Emily se rencontrent en Suède, la famille chinoise réagit très mal et coupe les ponts avec Betty pendant 7 ans. Le futur gendre, policier, n’est en effet pas assez éduqué à leurs yeux. Cette opposition n’a pas séparé le couple qui a vécu aux 4 coins du monde et n’a cessé de voyager durant l’enfance d’Emily.
Alors de quelle « race » es-tu Emily ?
Emily admet qu’elle ressemble à sa mère et à sa grand-mère chinoises mais elle se sent plus suédoise que chinoise. Enfin non d’ailleurs je crois qu’elle se sent complètement suédoise… C’est fou ces stéréotypes qui viennent interférer dans l’inconscient collectif : je m’imagine à cet instant l’archétype de la beauté scandinave, blonde, yeux bleus, 1m85 ! C’est tout l’inverse ! Cheveux châtains, de taille moyenne, mince comme un fil, et yeux noisette en amande (si si c’est possible). Elle n’en est pas moins ravissante et charismatique. Militante, cette ultra sensible ne veut surtout pas donner l’impression de fragilité. Elle est d’ailleurs membre d’une association féministe où elle combat notamment la violence faite aux femmes, les viols et discriminations. Sa dernière campagne « marre du rose » milite pour des jouets unisexes éloignés des stéréotypes : balais, planches à repasser et autres ustensiles ménagers réservés aux fillettes !
Engagée elle n’aime pas les gens neutres… et le moins qu’on puisse dire c’est que neutre, elle ne l’est pas !
Le regard des autres
Pour les plus imaginatifs Emily est Russe, Péruvienne, ou du Kazakhstan ! Lorsqu’elle était plus jeune et encore plus typée asiatique on ne la voyait pas comme une suédoise mais comme une chinoise. Lorsqu’elle se promenait avec sa petite sœur et son père, on pensait qu’elles avaient été adoptées… Elle ne se reconnaît pas dans cette image d’elle : «Ce n’était pas moi !» Bien qu’elle se voie scandinave, à la naissance de son enfant, elle est à la fois surprise et heureuse : Samuel ressemble à un bébé asiatique. Il a bel et bien hérité d’une part de son identité…
Choc des cultures ?
Elle dit s’être construite par son métissage, devenu sa force, qui lui a apporté ouverture d’esprit et extrême flexibilité. Le fait d’être confrontée à deux cultures différentes en permanence a développé sa capacité d’adaptation : Elle se décrit comme un caméléon, capable de vivre absolument n’importe où et rêve d’ailleurs de partir à l’étranger. Plus jeune elle n’est jamais restée plus de 4 ans au même endroit. Elle a d’ailleurs vécu plusieurs années en Syrie ou elle a appris à parler un français parfait.
Si elle n’a pas rencontré de problème identitaire lié à son mélange, Emily ne se reconnaît pas dans la culture asiatique. Benjamin place tranquillement « Elle est sinophobe…». En découvrant la Chine via des séjours professionnels, elle réalise qu’elle est encore plus en décalage. Suédoise avant tout, Emily dénonce chez les Chinois une mentalité « saving faces » : « Il faut sauver la face quoi qu’il arrive ! Ce n’est pas une culture spontanée ni détendue, pas une culture de plaisirs ni d’envies. C’est l’opposé de moi ! ».
Emily n’a pas d’affinité avec ce pays passé du communisme à l’ultra capitalisme, valeurs auxquelles elle n’adhère pas.
« Il faut sauver la face quoi qu’il arrive ! Ce n’est pas une culture spontanée ni détendue, pas une culture de plaisirs ni d’envies. C’est l’opposé de moi ! »
Un oiseau rare
Emily n’a pas besoin d’appartenir à une communauté en particulier, sa communauté ce sont ses sœurs, les mieux placées pour comprendre son métissage, celles avec lesquelles elle n’a pas besoin de parler pour se faire comprendre. Sans elles, elle aurait certainement ressenti la solitude et le sentiment d’être « un oiseau rare ». D’ailleurs, lorsqu’elle rencontre une personne issue du même métissage, elle ressent une connexion particulière…
Même si elle n’a jamais été franchement confrontée au racisme, Emily se dit victime de stéréotypes qu’elle vit plutôt bien, en évoquant la curiosité humaine, pas la méchanceté. Par exemple quand les taxis tentent de deviner ses origines, elle se prête au jeu avec amusement et les laisse annoncer fièrement : « Eurasienne ! » Ce qui lui pose problème, par contre, c’est le décalage entre les attentes des autres et ce qu’elle est réellement. Elle ne parle pas chinois, les gens en sont presque déçus et la culpabilisent alors qu’elle a plus envie de parler Arabe que Chinois.
Son ambiguïté perturbe : Emily c’est plusieurs couches qui se superposent et qui créent le trouble !
Portrait mixologies
si Emily était :
Edmund Burke