Je suis assise dans un café du Canal Saint Martin face à Vassili, figure gréco-camerounaise de la nuit parisienne. Le crâne rasé, des tatouages tribaux sur les bras, une barbe noire parfaitement taillée et de grandes lunettes qui soulignent des yeux qui te scannent sans en avoir l’air. Pendant quelques secondes je suis traversée de doutes : je m’inquiète de ma tenue, ma coiffure, ma gestuelle. J’attends presque son verdict et puis j’oublie totalement qu’il est physio et là c’est moi qui l’observe et qui l’interroge sur qui il est. Je me sens très vite plus à l’aise car il se révèle touchant de sincérité et de simplicité. Avec son mètre 90, ses 110 kilos, sa voix douce et ses grands éclats de rire, c’est un ours en guimauve protecteur qui se cache derrière cette impressionnante carapace. Main de fer, gant de velours… j’adore la tête du serveur lorsqu’il commande un thé « détox » dans l’hiver qui s’est installé.
- Prénom : Vassili
- Age : 37 ans
- Profession (s) : Physionomiste et garde du corps
- Mix : France x Grèce x Cameroun
- Vit à : Paris
Vassili, c’est autant de contrastes, une ambivalence dont il s’amuse au quotidien. Il me dit que j’ai « un nez de métisse », lui a un prénom grec (que je pensais russe) et un nom de famille camerounais; un deuxième prénom africain qu’il garde étrangement secret (j’ai pourtant insisté).
Je trouve que c’est particulièrement intéressant d’échanger sur Mixologies avec un physio.
L’apparence, l’image de soi, l’identité, justement on en parle longuement, lui qui ne supporte pas les préjugés et stéréotypes.
Be Kind, Rewind !
C’est au Cameroun dans les années 60, que se rencontrent ses parents. Son père, célèbre artiste camerounais bamiléké* et sa mère, Marseillaise d’origine grecque qui travaille dans l’import export se rencontrent. Ils font connaissance lors d’une soirée où lui, musicien de jazz et de makossa, (il a notamment joué avec Manu Dibango) se produit… Coup de cœur, ils se marient et auront cinq enfants ensemble ; quatre garçons, dont deux mourront jeunes, et une fille. Leur couple fait beaucoup parler à l’époque : le père, star locale, très convoitée, brise le cœur de bon nombre de ses prétendantes en épousant une blanche…
Plus tard, ils s’installeront à Paris où naîtra Vassili. Les autres enfants sont tous nés et ont grandi au Cameroun et détiennent la double nationalité franco-camerounaise. Avec son frère et sa sœur de 10 ans et 8 ans plus âgés, Vassili ressent une différence de mentalité, surtout lorsqu’ils étaient plus jeunes. Contrairement à lui par exemple, les aînés parlent couramment l’un des dialectes camerounais. Lui, n’est allé au Cameroun qu’une seule fois, à la mort de leur père en 2008. Malgré les circonstances douloureuses, il découvre le Cameroun, entouré de sa famille. Il séjourne à Douala et au village de son père, Bandjoun. Il aime l’endroit et s’y sent bien, le folklore, la mentalité, la douceur de vivre… Il n’y est pas retourné depuis, mais envisage d’y revenir plus régulièrement.Plus jeune il n’a pas pris le temps de se rendre dans ses pays d’origine privilégiant d’autres destinations avec ses amis et il le regrette.
*Bamiléké : ethnie originaire du Cameroun
« Un héritage multiple, c’est une chance, une richesse… C’est ça la beauté ! »
Druide atypique
Vassili, qu’on appelle « Le Druide », (ancêtre du mixologue ?) parce qu’il fabrique des « potions magiques » à ses amis, (je n’en saurais pas plus), a toujours aimé semer le trouble sur son « ambiguïté ethnique ». Plus jeune, on le charrie souvent sur ses origines alors il décide d’en jouer et même de s’en inventer. Il dit être gitan, russe, grec, camerounais. Il prétend parfois avoir six nationalités ! Il se définit comme un « profil atypique » et je pense que c’est ce qui lui plait, ne pas être comme tout le monde. Il cultive sa différence et a fait de ce particularisme sa marque de fabrique.
Turbulent petit, il aime se faire remarquer et n’a pas la langue dans sa poche. Tout aussi hyperactif aujourd’hui, Vassili est un bosseur qui enchaîne cinq nuits sur sept. Le reste du temps, il le consacre à sa passion : la moto. C’est d’ailleurs un milieu qu’il a intégré bien qu’il n’ait ni le gabarits ni le look du motard standard. Cet accro à l’adrénaline, qui déjà eu plusieurs accidents, suit un calendrier précis avec des compétitions sur circuits en championnat de France.
Aujourd’hui Vassili dit n’avoir aucun problème identitaire, bien au contraire; il sait qui il est : « Un héritage multiple, c’est une chance, une richesse ! C’est ça la beauté ! »
« Ma mère, elle est plus africaine que moi ! »
Cameroun vs Grèce : 1 – 0
Vassili a grandi à Paris dans le XIXème, dans l’environnement populaire et multiculturel du quartier Laumière. Ses potes d’école sont chinois, juifs, noirs, arabes, blancs. « Tu vois mes photos de classe, c’était Benetton ! ». Petit, il ne s’est jamais senti plus noir que blanc et ses parents n’ont jamais cherché à l’influencer plus d’un côté que de l’autre, mais en vieillissant son cœur a penché du côté du Cameroun.
Aujourd’hui, bien que se revendiquant métis, il se sent plus proche de la culture Africaine, dans laquelle il a d’avantage baigné. Sa mère, après avoir vécu vingt ans au Cameroun a adopté quelques moeurs locales, en particulier la cuisine camerounaise, Ndolé, Kondré, Nkui …« Ma mère, elle est plus africaine que moi ! ». Il se remémore aussi les grandes soirées qui réunissaient la communauté Bamiléké d’île de France auxquelles ils assistaient en famille.
De sa famille maternelle, Vassili sait seulement qu’elle vient d’un village de pêcheurs de l’île de Kalymnos en Grèce. Sa mère lui a expliqué quelques rituels orthodoxes, la cuisine aussi. Il ne parle pas la langue mais connaît quelques jurons grecs qu’il entendait d’elle…
« La curiosité n’est pas un problème, c’est la spéculation qui en est un ! »
La nuit, tous les chats sont gris ?
« Mais t’es d’où ? T’es des Antilles ? » Clair de peau, Vassili est souvent pris pour un Antillais, ce qui a le don de l’énerver… Il ne comprend pas pourquoi les gens font des spéculations et préfère qu’on lui pose directement la question de ses origines. Parfois on lui parle même créole; un manque de respect selon lui… « La curiosité n’est pas un problème, c’est la spéculation qui en est un. »
Ces préjugés par rapport à sa couleur de peau, il en est fatigué à la longue. Trop simplifier les choses par méconnaissance comme le prendre pour un antillais ou le décrire comme un noir (« le grand black costaud ») le lasse également. À l’inverse, au Cameroun, on le regarde différemment : avec son accent français et son teint clair, on l’appelle « le blanc » ! Même son grand frère, bien que né et ayant grandi au Cameroun, est considéré comme un touriste. Parfois aussi on le prend pour un artiste hip hop noir, ce à quoi il répond en ironisant qu’il y’a une différence entre du chocolat noir et du chocolat au lait… « Moi je suis chocolat au lait… ça n’a pas le même goût ni la même couleur »…
Être physio dans un club ultra sélect, c’est évidemment juger d’abord sur les apparences, mais Vassili a pour principe d’avoir un minimum de communication avec les noctambules qui se présentent aux portes du temple de la hype. Il sait que son premier jugement peut être trompeur et ce sont plutôt les réactions de la personne qu’il a en face de lui qui donnent accès ou non au lieu.
Ce paradoxe entre son métier et son refus du jugement sur les apparences revêt une certaine ironie. En recherche d’authenticité, il déplore une forme de superficialité qui ne lui ressemble pas dans le milieu de la nuit ou même celui de la moto.
« J’aime casser les clichés, j’adore ! »
« Je ne suis pas ce que tu crois ! »
Être baraque avec le teint halé et des tatouages ne veut pas systématiquement dire brute flanquée d’un pitbull (lui qui a d’ailleurs deux chats). Vassili a tendance à surprendre les gens sur qui il est vraiment. « Je ne suis pas ce que tu crois ! » Il aime d’ailleurs provoquer ceux qui entretiennent les clichés. Avec sa barbe, qu’il a adoptée depuis quatre ans, il aime laisser planer le doute sur le fait qu’il soit musulman ou non… et puis manger un jambon beurre devant eux. « Juge les actes et non ce que tu vois ! » Tout le monde porte la barbe, hipsters, juifs rabbins, gays, des barbus dans la pub, dans le cinéma alors pourquoi ne la porterait-il pas ? Il trouve que ça lui donne un look, look qu’il utilise parfois dans des rôles au cinéma ou dans des clips. On lui propose régulièrement des personnages de méchant, et il saisit les opportunités quand elles se présentent, sans se prendre au sérieux. « J’aime casser les clichés, j’adore ! »
Malgré le contexte ambiant, Vassili croit en l’avenir du métissage, bien qu’il souligne que de nombreuses personnes puissent le craindre. Les clichés reposant sur la catégorisation des êtres humains, et étant fondés sur des attributs imaginaires de telle ou telle communauté, le métissage devient de fait un risque de ne plus pouvoir identifier, classifier, et séparer les gens. Finalement, un sujet qui peut déranger ! Si demain tout le monde se mélange on ne pourra plus jouer sur ces craintes me fait-il remarquer l’air malicieux…
Parfaitement parler