Noëlla, une petite bonne femme atypique qui combine force et fragilité, un mélange de fofolle décalée et de boudeuse tristoune. Avec son côté chat aux airs de Droopy elle peut s’exprimer d’un ton un peu blasé et une certaine nonchalance, puis tout d’un coup exploser de rires et s’enflammer avec passion. Côté style, Noëlla mélange dégaine de punkette girly avec ses piercings et ses six ou sept tattoos, avec un look preppy glamour. Cette méditerranéenne, grande fan d’Harry Potter a un côté enfantin qui cohabite avec une maturité grave que l’on perçoit parfois dans ses yeux.
« Reckless Abandon » est tatoué sur son coude, et je me demande ce que ça signifie pour elle. Un crédo de lâcher prise, de « On s’en fout après tout » qui lui donne l’air (et peut-être l’impression) d’être libre ? Mais Noëlla, elle a la nature bienveillante, de ceux qui se soucient, qui se sentent responsable des autres, et qui l’empêche de s’en foutre…
- Prénom : Noëlla
- Âge : 27 ans
- Profession (s) : en charge du new biz dans une agence de pub
- Mix : Italie x Tunisie
- Vit à : Paris
Pour Noëlla, le métissage, n’est pas qu’un mélange ethnique, c’est aussi un mélange culturel, un mélange des genres, celui de plusieurs mondes. Comment faire cohabiter ces mondes au mieux ? Comment en faire un tout ? Créer quelque chose qui fonctionne…
C’est en Lorraine que se croisent les mondes de ses parents, tous deux immigrés de Méditerranée, l’un de Tunisie du village de Menzel Bourguiba, l’autre d’Italie du Sud.
Dans les années 60, la mère de Noëlla, Calabraise, s’installe en Lorraine avec ses parents et ses quatre sœurs, à l’âge de 11 ans. À cette époque, la pauvreté sévit en Italie et dans le bassin méditerranéen ; la famille décide de s’installer en France pour y trouver du travail. Le père de Noëlla, lui, quitte la Tunisie à l’âge de 7 ans. Il est envoyé en France avec son oncle et l’une de ses sœurs au décès de leur père. Il ne connaîtra jamais vraiment les raisons de cet exil ; sa mère et ses autres frères, eux restent en Tunisie. Il vit d’abord à Grenoble, puis, à Paris où il vend des jeans à Barbès, puis s’installe enfin en Lorraine où il devient éducateur spécialisé pour des jeunes en réinsertion.
Le coup de la luxation
Un jour, lui, qui fait du foot dans un club amateur, se luxe l’épaule et c’est la mère de Noëlla, alors infirmière, qui le soigne : il faut remettre en forme le footballeur blessé. Leur premier rendez-vous, ce sera pour aller courir. La mère, absolument pas sportive, relève le défi. Elle part s’acheter baskets, jogging, spécialement pour l’occasion. Noëlla me parle de cette rencontre en souriant, une rencontre qu’elle trouve « chouette » bien qu’elle semble résignée au sujet de l’Amour… Moins d’un an plus tard, les deux joggeurs se marient dans la tradition catholique de l’épouse, Maria. La famille tunisienne n’est pas présente à la cérémonie. Le père, devenu athée porte désormais à son cou la croix offerte par sa femme ; un bijou auquel il finit par s’attacher.
De cette union naîtront Noëlla et son frère, de trois ans son aîné. Elevés en Lorraine, où l’enseignement de la religion catholique est obligatoire à l’école publique (sous réserve d’une dérogation), Noëlla étudie le catéchisme, fait communion et profession de foi. Elle a également lu le Coran parce que « ça l’intéressait » ; culturellement important pour elle. Aujourd’hui, elle se dit « 100 % athée », mais elle trouve important d’avoir appris les principaux enseignements de la religion; pour sa culture générale…
Déraciné
De son côté tunisien, à part « savoir cuisiner le couscous », Noëlla n’a hérité que de peu de choses. Plus jeune, pourtant, elle est allée souvent en Tunisie et lorsqu’elle entend « Alabina » et « Le Café des Délices » cette Méditerranéenne pense tout de suite à la Tunisie. Elle me parle du village de Sidi Bou Saïd, qu’elle adore et qu’elle décrit comme un bijou brut. Elle garde de très bons souvenirs du pays, à l’époque de l’ancien président Bourguiba. Côté langues, Noëlla comprend un peu l’italien, et quelques mots d’arabe mais ne les parle pas. Elle regrette surtout de ne pas connaître l’italien. Est-ce par souci d’intégration que ses parents ne leur ont pas transmis leurs langues maternelles respectives ?
Ce souci d’intégration justement, son père semble en avoir été toujours habité. Il s’est toujours beaucoup mis en retrait sur ses origines, et a d’ailleurs changé son prénom : de Jalel il est devenu Gilles, ainsi qu’on l’appelait spontanément lors de son arrivée en France…
Pourtant, de la Tunisie, son père en parle énormément, tous les jours même. Très attaché à ses origines. elle le décrit comme un déraciné et considère qu’il y’a « quelque chose de non exorcisé chez lui ». Au décès de sa grand-mère paternelle, c’est Noëlla, sensible à ce sujet, qui offre le billet d’avion à son père afin qu’il puisse assister à l’enterrement en Tunisie.
La troisième question
Avec ses cheveux lissés, naturellement bouclés, Noëlla dit ressembler à sa tante italienne. Son frère, plus foncé, ressemble d’avantage à leur père. Elle, se voit comme une Italienne pourtant on lui renvoie généralement son côté maghrébin (ce qui l’étonne la plupart du temps.) Lorsqu’elle rencontre une nouvelle personne, la troisième question qu’elle trouve toujours bizarre, ne se fait pas attendre :
- C’est quoi ton prénom ?
- Tu fais quoi dans la vie ?
- C’est quoi tes origines ?
Pourquoi cette question ? Est-ce parce qu’elle a un air « exotique » ? Pourquoi vouloir définir les gens par leurs origines ? « T’es comme t’es et c’est comme ça ! » Les stéréotypes, elle ne supporte pas non plus… « Ah mais ça fait des beaux mélanges ! » « Une phrase vraiment pourrie, une phrase de merde… Les métis, ils sont beaux pour tellement d’autres raisons ! »
Elle ne comprend pas pourquoi les gens doivent toujours faire des commentaires sur ces questions.
Comment elle voit l’avenir du métissage ? ça dépend lequel… une peur viscérale du mélange arabo-autre chose ! « Seal et Heidi klum c’est moins dérangeant…» «
Une vision très vieillotte et rétrograde, dont elle se demande si c’est particulier à la France. Noëlla est pourtant heureuse d’être exposée à cette diversité qui caractérise en partie le pays. Elle pense que c’est une chance, du fait de l’immigration et du passé colonial d’avoir un pays si diversifié, mais relève l’hypocrisie des mentalités : « Ils ont fait venir ces gens pour faire un travail qu’il ne souhaitaient pas faire, et maintenant il s’en plaignent ! Le monde marche sur la tête… France terre d’asile, c’est tellement bullshit ! »
Comment elle voit l’avenir du métissage ? « ça dépend lequel…une peur viscérale du mélange arabo-autre chose ! Seal et Heidi klum c’est moins dérangeant…»
Cuisine et confidences
Dans la culture méditerranéenne, autant en Italie qu’en Tunisie, la nourriture est un vecteur de socialisation, de même qu’un gage de bonne santé (si tu ne manges pas, la grand mère se demande presque si tu n’es pas malade…) Noëlla a baigné dans la culture italienne et sa gastronomie ; le dimanche elle apprenait à faire des pâtes avec sa grand-mère. Manger est un sujet qui les rassemble, et occupe une place centrale dans la famille. Elle est d’ailleurs très heureuse de connaître les précieuses recettes de sa grand-mère notées dans des petits cahiers ; une transmission qui lui tient à coeur…
Mais Noëlla entretient une relation amour/haine avec la nourriture, à la fois réconfortante et pesante. En Italie, les repas sont interminables composés de plusieurs plats primo piatto, secondi… Elle évoque la préparation des gâteaux de Noël chez sa marraine, un véritable rituel où elle a toujours goûté les pâtes à gâteaux pendant leur préparation. De même, chez ses parents, il y a toujours une pizza dans le four quand elle rentre de l’école, « Tu te sens obligée de manger ».
À 25 ans, Noëlla, qui a des problèmes de poids depuis l’adolescence et qui ne supporte pas les régimes, prend la décision de se faire opérer. Elle perd près de 30 kilos. Aujourd’hui, elle a l’impression d’être devenue une autre personne ; un nouveau corps, le sentiment de disparaître ? mais elle se réconcilie peu à peu avec elle-même et la nourriture…
Face à l’actualité
Noëlla dit occulter son coté tunisien sauf quand on l’attaque : là elle bondit ! Petite, elle est la seule « bronzée » de sa classe, voire de l’école ! Elle a beaucoup souffert de racisme en Lorraine, une région extrêmement raciste selon elle. Un jour à l’école on lui dit « Retournes dans ton pays, t’es pas française… » Noëlla rentre chez elle en larmes. Elle s’est d’ailleurs souvent battue. Entre 14 ans à 17 ans, elle est exposée à un groupe néo nazi à Metz. Un jour, elle se confronte à ce groupe dans un bar avec un ami à elle, black. « Vous êtes pas dans votre pays ! ». De nombreuses bagarres, un combat de territoires et d’idéologies. Son frère, lui se fait agresser au couteau.
De ces bastons est née son engagement politique. Noëlla, guerrière révoltée, et militante qui vit à Paris depuis l’âge de 20 ans, tient à voter systématiquement en Lorraine, région où le Front national est majoritaire. A chaque élection, elle fait des procurations et c’est son père, très engagé lui aussi, qui va voter pour elle.
Curieuse et phobique de la superficialité dont les média traitent l’actualité, Noëlla cherche à comprendre, et se documente énormément sur la question du terrorisme. Elle veut défendre les vraies valeurs de l’islam car elle considère qu’il y a beaucoup d’ignorance sur le sujet. Quand on lui demande son avis sur l’actualité, elle dit se sentir bizarrement plus proche de la Tunisie dans ces moments-là. « Non, c’est pas ça l’Islam… Les dérives elles sont partout ! ». Noëlla, qui aime transmettre, aime prendre le temps d’expliquer les choses aux autres. Elle ne supporte pas les raccourcis, les amalgames et se sent plus légitime puisque son père est Tunisien. Peut être un porte-parole parce quelle est bronzée. Elle me dit avec un air ironique que « issue de » = tu comprends les pratiques : « Visiblement j’ai mon mot à dire…»