Shekina, la petite cousine qui débarque à Paris pour l’été alors j’en profite pour en savoir plus sur comment on perçoit son métissage quand on vit en Martinique et qu’on a 16 ans. Une grande bringue d’1m80, génération Snapchat, à première vue timide et rêveuse mais qui cache une énergie explosive et un tempérament de feu, parfois autoritaire, qu’elle tient de sa mère, me confie-t-elle… Pendant son séjour, elle participe à un stage de comédie musicale aux cours Florent, mais elle doute encore de ce qu’elle fera de son avenir : « Je ne sais pas vraiment encore qui je suis… ». Avec ses longs cheveux noirs bouclés, ses jambes interminables et sa voix douce teintée d’un accent créole qui fait des va et vient, Shekina n’est pas une fille ordinaire… Ce qu’on comprend d’autant plus quand on sait qu’elle a été élevée par une mère noire et un père blanc, tous deux rastas !
- Prénom : Shekina
- Âge : 16 ans
- Profession (s) : Etudiante en 1ère S
- Mix : Martinique x USA
- Vit à : Fort de France
Shekina, qui vit à Fort de France, est le fruit d’un cocktail détonant entre une mère martiniquaise et un père américain d’origine albanaise et irlandaise. Du sang hindou coule également dans ses veines : son grand-père maternel était d’origine indienne.
Très impliquée dans son interview, elle trouve que le projet « Mixologies » est une bonne occasion de parler de son métissage; sujet dont elle parle très peu. Plus jeune, exposée à la question impossible de savoir si elle est noire ou blanche, elle ne ne sait pas quoi répondre et se tourne vers sa mère…
Celle-ci, catégorique : « Une petite goutte de noir dans de la peinture blanche ça fait du noir, alors tu dis que tu es noire ! »
Intéressée par la diversité humaine, elle évoque le projet « Human » de Yann Arthus Bertrand et des épisodes qu’elle suit sur Youtube.
« Is this love, Is this love that I’m feelin ? »
Ses parents se rencontrent à la Nouvelle Orléans en 99. C’est une histoire passionnelle et tumultueuse qui se noue entre Brendon guitariste de reggae, et Danièle, partie à l’aventure aux Etats Unis après des années passées en Italie. Danièle tombe enceinte alors qu’elle ne s’y attend pas. Shekina naitra un an plus tard à Paris tandis que son père continue sa route seul à Hawaï…
C’est deux ans plus tard que le couple décide de se donner une nouvelle chance, et de s’installer finalement à la Martinique. Quand Brendon rencontre sa fille de deux ans à l’aéroport de Fort de France, l’émotion est telle qu’il en vomit ! À 4 ans, Shekina assiste au mariage de ses parents qu’elle me décrit comme un très beau souvenir. Ils ne rencontrent pas de difficultés particulières à fonder un couple mixte, la vieille génération antillaise, valorisant les peaux claires, accepte tout à fait Brendon. Par ailleurs ce dernier est d’après sa fille plus africain qu’un africain … « Mon père est noir à l’intérieur ! »
Babylone vs Zion
Pour Shekina, le métissage n’est pas forcément un mélange de races mais aussi de cultures, d’éducation, de vision des choses.
Elevée à la Martinique par ses deux parents qui ne vivent pas ensemble mais qui partagent les valeurs du Rastafarisme, Shekina se sent proche de la nature et de la terre. Elle décrit un mode de vie idéal, fait de bonheurs simples : aller à la rivière, cueillir des fruits, être connecté à ses besoins primaires.
Paradoxalement, elle est attirée par la scène et le monde du spectacle. C’est son père avec qui elle parle anglais, qui lui a donné le goût de la musique, du chant et de la danse… Véritable performeuse, Shekina ne perd pas une occasion de faire le show notamment en interprétant les morceaux de Beyoncé, Rihanna, Christina Aguilera & co. Inscrite à un cours de danse, à la Martinique, elle participe régulièrement à des spectacles. Lors d’un événement pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage justement, Shekina partage la scène avec une troupe de danse indienne. Lors de cet événement, elle est déçue et blessée de ne pouvoir participer au shooting photos pour représenter l’esclavage, jugée trop claire de peau… On lui dit qu’elle « n’a pas le type »… que ses cheveux sont trop lisses comparée à toutes les autres aux cheveux crépus qui peuvent se faire des Afros.
« What are you ? »
Dans le miroir, elle voit plutôt une fille qui ressemble à une Indienne. Elle se sent d’ailleurs proche de cette communauté, appelée aux Antilles « les coolies » : elle aime leur culture, danse, nourriture, vêtements et bijoux. La plupart du temps, les gens l’identifient comme telle ou lui inventent des origines maghrébines. Plus jeune, plus claire de peau, elle me dit qu’on la prend pour une « mulâtresse ». Terme qui a une connotation bourgeoise en Martinique ; les couleurs de peaux correspondant à une classification sociale. On la prend donc pour une gosse de riche alors qu’elle vient en fait d’un milieu modeste. Les gens sont étonnés quand ils voient sa mère, … « Ah c’est ta mère ?? » ce qui selon elle lui donne un côté plus « cool » et plus accessible.
« Quand tu es d’une seule race, origine, tu sais qui tu es, tu sais d’où tu viens, tu as des coutumes précises… Nous, on est partagés… »
« Pouvoir Caméléon »
Pour Shekina, les métisses sont généralement de belles personnes, d’une grande ouverture d’esprit. « Quand t’es métisse, tu fais partie du camp A et B, donc tu as accès à tout, tu peux t’intégrer à plusieurs communautés. »
Aujourd’hui, elle pense qu’elle a un « pouvoir caméléon » celui de s’intégrer à tous les groupes. La contrepartie, c’est une difficulté à se positionner et à savoir dans quel « clan » se placer. « Quand tu es d’une seule race, origine, tu sais qui tu es, tu sais d’où tu viens, tu as des coutumes précises… Nous, on est partagés… »
Elle trouve qu’elle adapte la plupart du temps sa personnalité aux autres. Sur le plan religieux, Shekina qui n’est pas baptisée s’est également interrogée.
Enfin être métisse, c’est aussi un « bordel capillaire ! » : des mèches presque crépues qui cohabitent avec d’autres parfaitement lisses, mais le tout donnant du volume et lui permet d’alterner entre cheveux curly ou totalement raides…
Vue des DOM-TOM
Au lycée, Shekina évolue au sein d’un groupe d’amis très mélangé : chabins, asiatiques, noirs, coolies. Beaucoup de mélanges, pourtant le racisme semble bien présent à la Martinique.
Étonnamment elle pense que les noirs sont devenus les plus racistes de l’île… Surtout l’ancienne génération qui entretient le culte de la « peau sauvée » : « Plus t’es clair, mieux c’est ! ». Shekina m’explique que c’est une réminiscence de la période de l’esclavage : quand un maître violait une esclave et que le bébé sortait clair, on disait qu’il avait la peau sauvée… Sauvé de l’esclavage.
Quand elle pense à son avenir, elle envisage de quitter la Martinique pour s’installer aux Etats Unis ou en Europe. Particulièrement à cause de la mentalité des locaux, et de leur état d’esprit qu’elle juge étriqué.
« Ils sont toujours un peu esclaves dans leur tête ! »