Mika, des yeux de chat aux reflets dorés, une peau très blanche constellée de tâches de rousseur qui laisse à peine deviner son métissage, des cheveux fauves bouclés qui me rappellent après coup les fleurs du flamboyant (arbre rouge caractéristique des tropiques). Avec son mètre 91 et sa chevelure cuivrée, casque vissé aux oreilles, il ne passe pas inaperçu… À première vue, difficile d’imaginer le créole qui sommeille en lui ! Pourtant, avec un père tamoul réunionnais et une mère métropolitaine, c’est jusqu’à l’âge de 18 ans qu’il a vécu et grandi à la Réunion. Il me parle avec nostalgie de SON île chérie… et envisage même de reprendre ses études pour devenir pilote et pouvoir la survoler à nouveau.
Mika commande un chocolat chaud, et se prête à l’exercice de l’interview en répondant de manière posée et sérieuse et en même temps un petit air mutin qui me rappelle Peter Pan…
- Prénom : Mickael
- Âge : 23 ans
- Profession (s) : Responsable opérationnel dans une start-up
- Mix : Indien de Réunion x Métropole
- Vit à : Paris
MIKA, un cocktail aux saveurs de vanille bourbon
Mika grandit à la Réunion jusqu’à ses 18 ans. Appelée autrefois île Bourbon, la Réunion est la terre du métissage par excellence. Elle abrite une population aux origines ethniques diverses : indiens, comoriens, chinois et africains. Marquée par la colonisation, d’abord malgache, puis anglaise, espagnole, enfin française la Réunion est peuplée de communautés qui cohabitent parfaitement bien ensemble…
Spécifique aux îles ? Les insulaires, condamnés à vivre ensemble finiraient-ils par devoir s’aimer ?
Quand un « malbar* » rencontre une « zoreille**» …
Son père, un malbar* de la Réunion, et sa mère, « zoreille** » se rencontrent à Paris. Après dix ans passés ensemble en Métropole, lui, agent commercial chez Air France, est muté sur son île natale six mois après la naissance de Mika. À sa naissance, ce dernier hérite des yeux de son père, du teint laiteux de sa mère… et arbore des cheveux d’une couleur rousse inattendue !
Mika est d’ailleurs plus souvent identifié par ses cheveux que par son métissage… À l’école, on l’appelle parfois « Poil de carotte » mais il ne s’en est jamais formalisé. Il semble au contraire très à l’aise avec son image et constate d’ailleurs qu’il y a beaucoup de roux à la Réunion. Ces derniers ne sont pas stigmatisés comme ailleurs et ont une place particulière sur l’île. On les appelle « les Gardiens volcan » ; d’après la croyance populaire leur chevelure aurait été colorée par la lave. Il se demande si de manière générale, le mélange de phénotypes ne favoriserait pas l’apparition de cheveux roux…
* Malbar : À la Réunion, descendant de la population indienne
** Zoreille : Blanc de la Réunion
Entre Paris et Saint Denis…de la Réunion
Ce déraciné vit à Paris depuis 2013 et a bien du mal à s’habituer à la vie parisienne, pas assez spontanée ni simple à son goût. Il rêve de retourner à la Réunion plus tard, le soleil et la chaleur lui manquent, mais ce n’est pas qu’une affaire de climat. Mika est nostalgique de la grande convivialité, du sens du partage et de la famille, valeurs reines à la Réunion. Il demeure très imprégné par la culture et le mode de vie créole : fan de zouk (même s’il me confie qu’il lui est difficile de trouver une cavalière à sa taille), et de maloya*, il regrette les cabars**. Il se remémore aussi les célébrations et cultes locaux, par exemple le 20 décembre, fête de commémoration de l’abolition de l’esclavage, ou encore le Nouvel An Tamoul. C’est par son père Indo-Réunionnais que Mika a été initié à la culture tamoule. Il m’en fait d’ailleurs partager quelques souvenirs, des images fortes qui l’ont profondément marqué : processions, hommes en transes marchant sur le feu, sacrifices de cabris en hommage aux ancêtres, rites… Mika évoque aussi les esprits, revenants et autres fantômes qui hanteraient son île ; des croyances très présentes dans l’imaginaire collectif de la Réunion.
* musique traditionnelle Réunionnaise
** spectacles dansants à la Réunion
« Bounty » VS « TV Bar »
Mika se voit bel et bien comme un local, alors que certains ne le considèrent que comme un blanc roux. Il me parle de ceux que l’on appelle les « Bounty » : terme péjoratif pour désigner les noirs qui, comme la célèbre barre chocolatée, sont noirs à l’extérieur et blancs à l’intérieur et à qui l’on reproche d’avoir assimilé la culture occidentale au point d’en oublier la leur.
Au lycée on lui donne donc ce surnom : « TV Bar », reconnaissant implicitement qu’il est au fond aussi Réunionnais qu’un autre malgré sa peau claire. Pourtant il lui est arrivé qu’on lui adresse des réflexions piquantes : un jour en sortant du collège, Mika demande du piment pour assaisonner son « américain bouchon » (sorte de kebab Réunionnais) le vendeur lui rétorque « Mais t’es un zoreille toi, tu ne manges pas de piment ! »
Métisse : le sésame
Pour Mika, au-delà du mélange des sangs ou de l’héritage culturel, être métisse c’est être ouvert d’esprit avant tout dans le respect de la culture et de la religion de chacun. Avec une certaine innocence il me lance « C’est cool d’être métisse !» Cette richesse intérieure, il ne l’affiche pas spontanément mais la laisse deviner. Il aime surprendre ceux qui ont des préjugés et évoque son arrivée en Métropole : un jour, un groupe de camerounais de sa classe se rapproche de lui au moment où ils l’entendent parler créole avec un autre Réunionnais. Ses origines multiples et cette capacité à se positionner sur plusieurs registres lui permettent souvent de créer des liens, de ne pas être catégorisé ; les autres ont plus de facilités à s’identifier à lui et à se rapprocher. « Être métis, c’est un passe-partout ! »
D’ailleurs il me confie que son métissage l’a aussi aidé avec les filles… l’originalité de son mix serait un atout séduction ! En aucun cas une source de faiblesse, Mika se demande s’il n’a pas eu moins de difficultés en Métropole grâce à sa peau blanche. Sans doute aurait-il rencontré plus de problèmes s’il avait été « café au lait » … Certains de ses amis qui se sont installés en métropole en même temps que lui ont eu beaucoup plus de mal à trouver du travail. Il me dit avec tristesse que c’est sans doute lié à leur couleur de peau…
La Réunion : son Eldorado
Ce grand lecteur d’heroic fantasy et de romans de chevalerie semble très sensible à l’injustice et aux inégalités. Il ne cache pas son pessimisme quant à l’avenir du métissage et à l’inverse de nombreuses théories sur l’expansion du métissage dans le monde, pense que les communautés vont se replier de plus en plus sur elles-mêmes, par peur de la différence, tarissant ainsi les relations interraciales.
Pour Mika la Réunion demeure la gardienne du temple des sangs mêlés et représente pour lui un Eldorado. C’est au cœur de cette société multiculturelle et métissée, exemple de cohabitation harmonieuse entre les communautés qu’il envisage de revivre un jour… après avoir parcouru le monde !