Maty & François, me reçoivent dans leur intérieur cosy et cosmopolite du XVème. Maty est une tige aux longs cheveux noirs, vêtue de noir la plupart du temps ; un personnage fascinant et insaisissable. Je suis frappée par son rire franc, et sa voix très grave sortant d’une petite gorge et d’un cou si frêle. Autour de moi, un univers envoûtant : des coiffes amérindiennes, un amoncèlement de bijoux et de parfums, une poupée russe dans un coin, une tête de buffle… Je réaliserai plus tard que je suis chez une collectionneuse (environ 50 parfums et 500 bagues dans la salle de bains). Un tableau d’inspiration Basquiat attire mon attention à côté de la TV dont le fond d’écran fait défiler une mosaïque de photos parmi lesquelles le visage de Zoé Kravitz. On parle de Kanye West, des défilés de mode qu’il met en scène.
Autant de figures emblématiques du métissage.
Avec François on boit du vin ; Maty, elle, prend de l’eau et je remarque ses mains immenses ornées de bagues ethniques, son poignet tatoué d’un capteur de rêves…
- Prénom : Maty
- Âge : 34 ans
- Profession (s) : Artiste plasticienne (collage)
- Mix : Sénégal x Russie x France
- Vit à : Paris
- www.matycollageart.com
Lorsqu’on aborde la question du métissage, Maty évoque le mélange des ethnies, des sangs, des couleurs, des gênes. Quand elle en parle, on dirait qu’elle crée un tableau.
À ce moment, je pense aux collages qu’elle réalise : assemblages de matières, papiers, photos, vernis, d’où surgissent des personnages surréalistes. Des êtres hybrides, protéiformes, parfois disproportionnés qui composent un univers onirique et/ou glam porn. Maty se dit influencée par le mouvement Dada et plus particulièrement l’artiste Hannah Höch.
Back to her roots
Elle décrit son père comme un « beau mec du bled » de Guédiawaye au Sénégal et sa mère comme une belle blonde franco-russe un peu froide. Dans les années 80, ces deux-là se rencontrent à la gare du Nord sur leur trajet quotidien. De cette histoire d’amour dont elle ne connaît pas très bien les détails naîtra Maty, fille unique dans tous les sens du terme.
Maty est allée de nombreuses fois au Sénégal, pays qu’elle adore, mais elle ne connaît pas la Russie, sa mère non plus. Elle me décrit du Sénégal une ambiance surréaliste et mystique composée d’odeurs, couleurs, sons, comme le chant du muezzin qui appelle à la prière…
L’Afrique a toujours été très présente dans sa vie mais paradoxalement pas grâce à son père. Sa mère, passionnée par le Sénégal, adopte certaines coutumes locales, qu’elle transmet à Maty durant son enfance. Elle lui cuisine des plats sénégalais, s’habille en boubou, fait brûler du thiouraye dans la maison et écoute la musique de Youssou N’Dour… Maty ne parle ni russe ni wolof à part quelques mots.
« Moi, quand je me vois, je vois une tête d’alien ! »
Une créature non répertoriée
« Moi quand je me vois, je vois une tête d’alien ! » Et ça m’interpelle cette histoire d’alien.
« Alien » : nom masculin. Être venu d’ailleurs, extra-terrestre. Au figuré, personne étrangère à un milieu ; espèce animale ou végétale qui apparaît dans un milieu qui n’est pas le sien.
Elle se décrit : un visage ovale avec un grand front tout en me montrant l’émoticône alien sur son téléphone pour illustrer son propos…
« Tu vois bien que je lui ressemble ? » « Euh… »
Elle insiste sur ses traits particuliers : son front très africain contrastant avec sa petite mâchoire comme sa mère , ses lèvres bicolores ; ses longues mains toutes maigres avec de petits poignets… comme son père.
Elle voit le mélange quand elle se regarde !
On parle de sa couleur, elle se trouve jaune. On cherche alors son Pantone sur internet, pour vérifier… On regarde le projet très original d’Angelica Dass, photographe brésilienne, qui s’est lancée dans un immense nuancier de Pantones humains : «Humanae» pour trouver la référence qui lui correspond.
Moi, quand je la vois, oui je vois un alien : une créature d’une beauté surnaturelle.
« Alien »
Identité plurielle
Tout dépend de ses cheveux ! Maty porte un tissage qu’elle change au gré de ses humeurs. Au naturel, ses cheveux très fins forment un nuage vaporeux autour de son visage. Si elle opte pour une chevelure bouclée, elle passe pour une Marocaine, une Éthiopienne ou une Antillaise. Quand elle porte les cheveux très noirs et lisses, on la prend pour une Indienne. Maty comprend qu’elle suscite le trouble quant à ses origines. Je pense même qu’elle cultive cette ambiguïté.
Son amour de la mode, venu de sa mère, lui permet d’inventer chaque jour un nouveau personnage. Son style hétéroclite et spectaculaire mêle fripes, pièces vintage et bijoux ethniques. Elle joue à créer des costumes extravagants, composés d’imprimés en tous genres, robes gipsy ou rock, crop tops, boots grunge ou talons aiguille… Maty, elle casse les codes en n’étant jamais là où on l’attend !
Appartenir ou n’appartenir
Cette sénégalo ruskov ne s’est jamais sentie rejetée à cause de son métissage mais elle se remémore un souvenir d’enfance qui l’avait profondément blessée. Une fois dans la famille de sa mère, un chien noir s’assoit près de son père, la belle-famille commente d’un racisme décomplexé : « Il se met à côté de toi parce que tu es noir ! » Maty n’oubliera jamais cette réflexion…
Ni noire ni blanche, Maty se sent un être humain avant tout. Elle n’appartient à aucune communauté hormis celle du genre humain. Sa richesse c’est de ne pas être dans un moule ; elle se sent libre vis-à-vis des deux communautés, appartenant à la fois aux deux et à aucune. C’est cette liberté qui la caractérise : Maty refuse les diktats et conventions en particulier ceux qui emprisonnent les femmes et leur corps. Elle s’est ainsi récemment engagée dans le mouvement « no make up » privilégiant la beauté naturelle et l’acceptation de soi. Au niveau artistique, elle se reconnaît dans les valeurs dadaïstes de dérision et de jeu avec les convenances et les conventions.
J’ai adoré lire votre article, je suis aussi Russo Africaine et ça me fait plaisir de voir qu’il y a les mêmes métissages que le mien. Merci pour ce beau article!