Peggy

FranceXNiger

Dans la chaleur du mois d’août, on profite de l’heure de la sieste pour s’échapper et prendre le temps de discuter. Peggy, Adama de son prénom africain, est un sacré bout de femme au caractère bien trempé, matriarche d’une troupe métissée : Elly, 5 ans, qui pose souvent des questions à sa mère sur sa couleur de peau, et ses jumeaux de presque 2 ans, Romy et Isaac. Une énergie débordante malgré une fatigue latente qui s’est installée, Peggy, on dirait une déesse hindoue à plusieurs bras, version féminine franco-africaine de Shiva.

Je découvre une photo de ses parents sur la cheminée du salon : un Touareg du Niger enturbanné et une Française coiffée d’un chapeau, un petit garçon métis devant eux, l’un des frères de Peggy.

La petite Romy se réveille et fait apparition dans le salon. Elle passe de mes bras à ceux de sa mère, elle veut dessiner, tripoter mon portable ou boire son biberon. Isaac, lui, dort, tout comme le chien pour aveugles dont ils ont la garde, qui ronfle sans complexes à mes pieds.

Le temps nous manque, mais Peggy, cette hyperactive, multitâches et ultra-généreuse, trouve un moment à me consacrer et de l’énergie même si elle n’en à pas assez pour elle-même. Alors, je vais à l’essentiel :
« Peggy, c’est quoi pour toi être métisse, raconte-moi… »

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  • Prénom : Peggy, Adama
  • Âge : 36 ans
  • Profession (s) : Conseillère en réinsertion professionnelle à Pôle Emploi
  • Mix : Niger x France
  • Vit à : Châteauneuf-de-Grasse, Sud de la France

« Le métissage ? On n’en parle jamais… »

 

« Le métissage ? On n’en parle jamais ! » Une notion globale, universelle et presque commune mais pourtant peu représentée selon elle. Paradoxalement, le sujet fait partie du quotidien des principaux intéressés. Peggy me raconte que plus jeune, vivant à Paris, elle se fait arrêter régulièrement dans la rue, questionnée sur ses origines : « Mais vous êtes d’où ? ».

À l’époque, ces questions récurrentes l’énervent car elle a l’impression de devoir se justifier sur ce qu’elle est. Plus tard, elle perçoit globalement un regard plus bienveillant, mais vivant depuis peu dans le sud de la France, elle se sent de plus en plus exposée au racisme.

Quand Amadou rencontre Odette

Son père, Amadou, fils unique, est un Peul* musulman du village de Méhéna au Niger. Sa mère, Odette, est une catholique, « française pure souche » (même si Peggy déteste cette expression). Rien ne les prédestinait à se rencontrer et pourtant… Lui, est le premier de sa famille à partir vivre en Europe à 18 ans. Ce nomade a envie de voir le monde et de partir à l’aventure, d’abord en Côte d’Ivoire puis en France. Il souhaite créer quelque chose par lui-même et quitte l’Afrique pour l’Europe. Il devient chauffeur livreur et rencontre la mère de Peggy, alors caissière chez Félix Potin. Elle a 14 ans, lui, quinze ans de plus qu’elle, mais la magie opère. Il lui fait la cour pendant plusieurs années puis finit par l’épouser à sa majorité. Deux ans plus tard, naît Peggy puis, deux garçons et une sœur cadette. À l’époque, les gens les dévisagent, un couple mixte ça attire l’attention ; essuie les critiques aussi. Le racisme semble s’apaiser à la naissance de Peggy, les médisants visiblement adoucis par la présence de cette enfant métisse. Le couple reste soudé, malgré les différences raciales, religieuses et culturelles et décide de monter un projet commun en Afrique : un dispensaire dans le village natal du père et la construction d’une maison. Odette, la mère qui est devenue aide soignante au Val de Grâce, adopte le Niger qui l’adopte en retour et y passe plusieurs mois par an avec sa famille. Avec ses quatre enfants en bas âge, des conditions de vie plus que rudimentaires (pas d’eau, ni d’électricité), elle tombe malgré tout sous le charme de ce pays qu’elle ne cessera jamais d’aimer. Elle organise aussi chaque année une collecte de médicaments qu’elle rapatrie là-bas. Ils resteront ensemble pendant vingt ans.

Peuls* : groupe ethnique d’Afrique de l’ouest

 

« Mes parents étaient des supers héros aventuriers, ils sauvaient les gens ».

Peggy

Super héros

Peggy connaît très bien le Niger et, quand elle en parle, c’est avec une passion communicative. Elle n’y est pas retournée depuis six ans, depuis la naissance de sa première fille, Elly, mais a hâte de le faire découvrir à sa famille ! « La maternité, ça te renvoie à qui tu es, à ta culture, ton enfance… »
Petite, elle y passait tous les ans au moins deux mois en vacances et bébé presque trois à six mois dans l’année. Elle en garde un souvenir merveilleux : un endroit où elle est totalement libre, aucunes règles, pas de chaussures, pas de fringues, une liberté totale… Ses parents aussi y étaient différents. Elle les trouvait très beaux ensemble, ainsi que leur engagement envers les autres : « Mes parents étaient des supers héros aventuriers, ils sauvaient les gens ».
Les mois passés au Niger, c’est des souvenirs d’enfance qui l’ont marquée pour toujours, comme dormir dans des tentes en plein milieu de la brousse, ou dans les dunes, après quatre heures de 4×4 dans des campements, voir des hippopotames dans le fleuve en bas de la maison, des girafes aussi. Elle partage un autre moment très fort : quand elle a 11 ans, sa mère lui propose d’assister à l’accouchement de l’une de ses cousines. Elle ne ressent aucune peur, et trouve ce moment très beau ; une sorte de rite initiatique, entre femmes.

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« La maternité, ça te renvoie à qui tu es, à ta culture, ton enfance… »

La fée maraboutée

Son grand-père, forte personnalité, était un grand marabout très connu au Niger. Peggy se souvient de sa « cabane-bibliothèque » avec des livres du sol au plafond. Il soignait les gens, leur prodiguait massages, onguents, soins. De ce personnage mystique, Peggy a hérité de nombreuses croyances et superstitions. Ayant baigné dans cet univers depuis petite, elle continue à l’appeler pour qu’il lui fasse un « grigri » quand elle a un examen à passer ou un événement important. Elle pense avoir hérité de lui d’une sorte de pouvoir guérisseur : des rêves prémonitoires, des intuitions. Une sensibilité aux maux des autres aussi, elle « sent les gens… une sensation dure à expliquer. » Ce don, elle le met à profit dans son travail qu’elle exerce avec engagement et conviction. Un don qui a été transmis aussi à sa plus jeune sœur Sophie, qui se rend deux fois par an au Niger, se ressourcer, poser ses pieds sur cette terre-là.

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« Mais je ne comprends pas, moi je suis juste un petit peu noire, toi tu es très foncée alors pourquoi mes petits frères et sœurs sont plus clairs que moi ? »

Elly, sa fille de 6 ans

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France x Niger : La synthèse

Peggy ressemble physiquement à son père, mais a le caractère de sa mère : l’engagement social, l’empathie, le souci des autres. Elle se considère comme un bon mix des deux, et semble incarner un mélange assez équilibré. Petite, elle a parfois été perturbée de ne pas avoir la même couleur que sa maman. Sentiment partagé par sa petite fille Elly, aujourd’hui en phase d’identification, qui s’interroge souvent sur la couleur, la religion et se tourne vers les adultes qui l’entourent et plus particulièrement sa mère :

« Mais je ne comprends pas, moi je suis juste un petit peu noire, toi tu es très foncée alors pourquoi mes petits frères et sœurs sont plus clairs que moi ? ».

Côté religieux, les parents de Peggy, très pratiquants l’un et l’autre dans leur cultes respectifs, n’ont pas transmis de religion à leurs enfants mais des règles de vie et une ligne de conduite stricte : tolérance, aide, gentillesse, pas de jugements, un refrain répété à tue-tête par les deux parents. Ligne de conduite qu’elle a aujourd’hui adoptée, dans le couple mixte qu’elle forme avec son conjoint Cyriaque, Français de confession juive, malgré leurs différences culturelles et religieuses. Parfois exposés au racisme, ils ont d’ailleurs coupé les ponts avec certaines personnes de leur entourage. Des engueulades aussi et des gens qu’elle a viré de chez elle : « Chez moi, tu dis pas le mot négro, tu dis pas bougnoule ! ». Suite à l’actualité, elle se sent de plus en plus testée sur le sujet de l’identité. « Mais toi, où tu te situes ? ».

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« Tu te prends aussi la pauvreté en pleine gueule ! Tu sais que tu vas jouer avec un enfant un été et que tu n’es pas sûre de le revoir l’été d’après… »

Peggy

Transmission de flambeau

Son métissage, elle le considère comme une énorme chance, celle d’avoir été élevée dans deux cultures et d’avoir fait ces voyages chaque année. Grandir entre banlieue parisienne et Niger, faire le grand écart entre ces deux mondes, ça l’a forgée. « Tu te prends aussi la pauvreté en pleine gueule ! Tu sais que tu vas jouer avec un enfant un été et que tu n’es pas sûre de le revoir l’été d’après. Les gens meurent de grippe ou de maladies que l’on soigne très bien en occident… ou tu joues avec une copine, et l’année d’après, ta copine, elle est mariée ! »

Peggy, reconnaissante de son héritage mixte, pense qu’en France elle a beaucoup reçu et qu’en Afrique, elle a beaucoup pris. Elle aimerait monter un projet humanitaire qui lui permette de partager à son tour et de retourner plus régulièrement au Niger. Son père, lui, après avoir quitté son pays pour la France, est revenu vivre dans son village en 93. Il possède des hectares de terres, le dispensaire, et a beaucoup de responsabilités. Son cheptel de cinq cents têtes de bétail est divisé entre plusieurs familles et nourrit la moitié du village. Peggy ressent le besoin viscéral d’aller « chez elle » et envisage de prendre le relais avec ses frères et sœurs.

Sa mère, Odette quant à elle, a reçu aussi beaucoup d’amour et de reconnaissance des gens et continue à se rendre régulièrement en Afrique. Elle y retourne seule, connue dans le village de Méhéna comme le loup blanc…

 

Portrait mixologies

si Peggy était :

Un animal
une orque
Une odeur
un gâteau qui sort du four
Un cocktail
un cosmopolitain
Une couleur
le bleu
Un verbe
partager
Un son
le son de la rivière
Un objet
une clé
Un sentiment
l’amour
Une devise
« Be nice »
Un paysage
la vue de chez son père au Niger : le fleuve bordé de végétation et le désert à l’horizon

2 Commentez sur Peggy

  1. Magnifique histoire, superbement écrite.
    Les photos rendent l’histoire encore plus proche de nous car elles donnent l’impression de connaître cette maman « super active »!

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