Jina

CamerounXFranceXRussie

Lorsque je demande à Jina de parler de son métissage, elle répond tout de suite « avec joie ! »

Et c’est avec joie, sourires et générosité qu’elle partage ses souvenirs, son ressenti.

Elle a pourtant perdu ses parents, et c’est dur pour moi de l’interroger, entrer dans son intimité, lui poser des questions sur son enfance. Parce que parler de métissage c’est avant tout parler des origines : d’OÙ et de QUI l’on vient.

Et puis elle me met à l’aise, elle a « fait le deuil » et semble avoir à cœur de partager son histoire, livrer quelques secrets de son héritage culturel et familial…

Cette russo-camerounaise charismatique qui se décrit comme « citoyenne du monde », revendique son métissage et semble incarner les contradictions. Avec son visage anguleux, sa voix grave, son port de tête altier, Jina est telle une princesse à l’aura forte et vulnérable à la fois.

Elle me montre des photos qu’elle garde précieusement : l’une de ses sœurs blonde aux yeux bleus, ses parents en noir et blanc, sa mère qu’elle admire tant. Elle me parle de son métier d’actrice aussi, de son rôle dans  « Les Liaisons Dangereuses » mise en scène par John Malkovich, de la Vénus Hottentote, femme martyre dont elle a endossé le rôle et bien sûr de Nina Simone, le personnage qu’elle interprète presque tous les soirs depuis quelques temps…

Car au théâtre, Jina est MISS NINA SIMONE :  cette artiste qu’on ne présente plus mais dont on parle peu de sa vie de femme, de ses blessures, de ses combats. Une pièce musicale sur la vie de Nina Simone donc, que Jina a mis en scène, une adaptation du roman de Gilles Leroy . Elle y joue, y chante, y rit, y crie son désespoir, incarne les démons de cette grande dame victorieuse avec passion et conviction.

Rencontre avec MISS JINA, poupée « Kameroruskova » !

  • Prénom : Jina
  • Âge : 30 ans
  • Profession (s) : Comédienne, en ce moment au Théâtre de L’Oeuvre
  • Mix :   Russie x Cameroun x France
  • Vit à : Paris

Love me or leave me

Jina est la petite dernière d’une tribu arc-en-ciel de 6 enfants : Sergueï, Antoinette, Samy, Alina, Nina, et Jina. Cette famille est à elle-seule une vraie campagne publicitaire pour Benetton, une tribu multicolore et multi-ethnique. Elle me dit en riant qu’à eux 6, ils cumulent des dizaines de drapeaux.

La mère de Jina, Nina, est une grande et élégante femme blonde aux yeux bleus aux allures de diva.  Médecin, elle vit la plus grande partie de sa vie en Afrique et travaille sur de nombreux projets humanitaires. Le père de Jina, Jean-Pierre, est étudiant en économie à cette époque.

Elle, sillonnant l’Afrique et lui, originaire du Cameroun, se rencontrent pourtant à Paris dans les années 70. Ils retournent s’installer au Cameroun et ont 3 enfants ensemble. Peu de temps après la naissance de Jina, leur histoire s’achève, et Jina ne croisera son père que quelques fois seulement, en cachette ; la mère de Jina ayant coupé les ponts avec lui.

Elle me confie avec une certaine émotion que, petite fille, lorsqu’elle se promène dans la rue avec Brigitte, sa nourrice, et qu’elle croise un homme noir elle lui demande : « Est-ce que c’est lui mon papa ? »

Jina et sa famille s’installent en France quand Jina a 4 ans après avoir passé ses premières années à Yaoundé. Elle n’obtiendra la nationalité française qu’à l’âge de 24 ans lors d’une cérémonie durant laquelle elle doit prêter serment alors qu’elle vit en France depuis 20 ans déjà…

A Paris, Jina vit avec sa mère et ses frères et sœurs mais est aussi élevée par sa nourrice camerounaise, Brigitte, dont elle parle avec beaucoup de tendresse et une certaine nostalgie : « Brigitte, c’est l’amour de ma vie! »

Matriochka Africaine

C’est par Brigitte d’ailleurs qu’elle reste en contact avec le Cameroun. Si ses frères et soeurs ont grandi en Afrique, Jina la cadette, n’y retournera qu’à l’âge de 23 ans.

« Mes frères et sœurs, ils sont blonds aux yeux bleus mais ils sont plus africains que moi ! »

C’est au décès de son père qu’elle retourne sur sa terre natale avec son frère Samy. C’est la première fois qu’elle prend l’avion. Quand certains volent pour un voyage, elle, part enterrer son papa… Jina sent tout de suite que c’est SA terre, l’endroit où elle est née, tout lui est familier : les odeurs, les sons, la langue. Elle ressent un sentiment de retour aux sources malgré les circonstances difficiles.

Pourtant, elle est bel et bien Russe et ressent une forte appartenance Slave. Elle me dit qu’elle se sent « l’âme soviétique »; une certaine froideur, une retenue parfois et une certaine mélancolie.

« Russe-Africaine, on pourrait penser que ce sont des cultures diamétralement opposées… » pas pour Jina qui considère qu’elles ont de nombreuses similitudes : le rapport à la famille, au don, au partage. L’art de recevoir, de créer une table avec rien…

Elle décrit sa mère comme « une slave jusqu’au bout des ongles ». A la maison, elle leur parle Russe, cuisine Russe. Le Russe est d’ailleurs la langue maternelle de Jina qui y est allée plusieurs fois, ainsi qu’en Europe de l’Est dans la maison familiale à Odessa en Ukraine.  Elle rêve d’ailleurs de jouer et chanter en Russe et espère jouer sa pièce à Saint Pétersbourg !

 

« Mes frères et soeurs, ils sont blonds aux yeux bleus mais ils sont plus africains que moi !  »

Jina

Miss Nina

Au théâtre l’un de ses rôles marquants est celui de la présidente de Tourvel dans « Les liaisons dangereuses », mise en scène par John Malkovich. Une expérience riche et intense qui l’a propulsé; une tournée mondiale de près de 300 dates. Jina décroche l’un des rôles principaux, rôle qui a parfois généré des commentaires surpris et dubitatifs de par son métissage.

Cette fois et pour la première fois, Jina a adapté et mis en scène la pièce dont elle est l’héroïne : MISS NINA SIMONE.

Nina Simone. Un personnage qu’elle ne choisit pas au hasard. Une fascination pour cette virtuose malmenée par la vie qui rêvait de devenir la première pianiste classique noire. La vie en a décidé autrement. Rebaptisée Nina Simone, elle dira d’elle-même que sa grande sœur était Maria Callas. Elle savait son talent, mais cela ne la rendait pas heureuse. Le spectacle nous la montre à la fin de sa vie. Alcoolique, accablée de douleurs, bipolaire, seule.

Sur scène, Jina met en scène SES Nina. Elle les incarne, les apprivoise. C’est sa mère qui l’a inspiré à devenir actrice. Elle évoque les ressemblances entre ces deux divas.

« Raconter la femme hors norme que fût Nina Simone est pour moi l’opportunité de rendre hommage à ma mère Nina et à la femme plurielle qu’elle incarnait à mes yeux. »

La mère de Jina, sa Nina à elle,  une femme libre et forte qui a fait le choix de son destin. Elle me dit avec beaucoup d’élégance : « Ma mère, elle a décidé de s’en aller… »

 

« Raconter la femme hors norme que fût Nina Simone est pour moi l’opportunité de rendre hommage à ma mère Nina et à la femme plurielle qu’elle incarnait à mes yeux… »

Jina

L’endroit

« And I’m feelin’ good » est le dernier morceau de la pièce. En face de sa coiffeuse, Jina se regarde dans le miroir. Son reflet est multiple. On voit le visage d’une femme noire, et puis son tatouage de matriochka dans le dos, sa cicatrice protectrice, une image parfaite de son métissage…

Une poupée russe, cette poupée gigogne multicolore, symbole russe par excellence. Des poupées de bois emboîtées les unes dans les autres. Une belle femme robuste et fardée qui représente la figure maternelle avec ses petits incarnant ainsi la famille. Un symbole qui confère aux enfants un sentiment de sécurité, garanti par les grands…

Lorsqu’elle s’exprime, Jina utilise des mots très précis et je remarque une expression récurrente lorsqu’elle décrit une émotion, particulièrement lorsqu’elle parle de théâtre, de son jeu d’actrice.

« Il y’a un endroit où…Il y’a un endroit où. »

Et c’est quoi cet endroit ? Un lieu de croisement, de rencontre ?

Comme si l’endroit pour Jina, ce n’était pas le lieu, mais bien la sensation, le sentiment.

Pas où l’on est ni d’où l’on vient mais ce que l’on ressent, à l’intérieur. Une notion bien plus personnelle que géographique.

Et je crois que Jina, elle aime naviguer d’endroits en endroits. Son métier d’actrice lui permet d’explorer, d’habiter ailleurs, de changer de couleur !

Portrait mixologies

si Jina était :

Un animal
un tigre blanc
Une odeur
la vanille
Un cocktail
le « White Russian »
Un plat
un plat thaï, poulet, coriandre et noix de cajou
Un son
le bruit des vagues
Une couleur
le rouge
Un verbe
créer
Un sentiment
l’amour
Un artiste
Nina Simone
Un paysage
un coucher de soleil sur la mer
Un objet
un livre

 

2 Commentez sur Jina

  1. Je connais un petit peu l’histoire de Jina étant donné que je suis amie avec sa sœur Nina. Le partage des destins multiculturelles est une mine d’or. J’adore cet article

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